« Mademoiselle… Dans votre état, il vous fait des misères…? C’est malheureux… »
Je me suis arrêtée, devant lui, et j’ai pleuré. Je lui ai dit « je sais, oui… vous avez raison, c’est malheureux »…
J’étais là, sur le parking de l’hôpital, branchée avec mes câbles qui dépassaient, je pleurais, je marchais comme je pouvais.
« Comme un vieux pépé » disait Noah. J’essayais de rester debout, malgré tout.
J’étais là, trempée de larmes, tremblante de douleur.
Sur mon téléphone s’affichaient les messages un à un. M’incriminant de choses incensées, résultantes de son imagination, de sa peur parano. Ses messages vocaux pleuvaient. Je n’ai pas tout écouté.
J’ai arrêté. Je n’avais pas à recevoir cela.
Au bout d’un moment, je l’aperçois au loin. D’un pas aussi déterminé qu’il allait au combat. Dans sa main le photomaton noir et blanc, de nous quatre avec mes enfants. Il savait appuyer là où ça fait mal. Précisément. Comme il se foutait complètement que je puisse être hospitalisée et m’épargner.
Je crois qu’à partir de là, j’ai laissé les jours s’égrainer. Je le regardais, je savais que ce n’était pas lui, qu’il fallait le sortir de ma vie. Mais mon combat n’était pas là. C’était ma santé.
Je savais ce que signifiait m’en éloigner.
Je l’avais vécu cet été.
J’avais failli porter plainte contre lui.
Je ne l’ai pas fait et je l’ai même fait revenir dans ma vie.
A l’écrire, je trouve cela insensé. Mais il a tout fait. Tout.
Lors de ma première hospitalisation, il a assuré. Déplacé des montagnes.
Comme un vaillant chevalier sur son cheval blanc. Pourtant, je n’attends pas le prince charmant.
Et je n’y crois pas, loin de là. Mais il a été là, quand il fallait.
Au fond de moi, je savais. Que ça ne tiendrait pas.
Je le sentais. J’avais cette sensation qu’il allait tout lâcher. Et le sol de se dérober.
Rapidement, j’ai compris qu’il mentait. A nouveau.
Lui qui m’avait déjà menti sur toute sa vie. Je l’entends encore me dire au tout début de notre relation qu’il avait couché son garçon rapidement, et de se vanter qu’il n’avait jamais de souci pour l’endormir. Tu m’étonnes, il ne l’avait pas vu depuis 3 ans.
Je me vois encore me dire que sa décoration est vieillotte en rentrant chez lui la première fois. Et de comprendre des mois après pourquoi. Ce n’était ni sa maison, ni sa voiture, ni son fourgon. Comme il n’y avait ni permis, ni moto, ni appartement qu’il louait censément. Je m’entends encore dire à maman que c’est le seul homme que je connaisse qui a 5 motos, une voiture, un fourgon, mais qui fait tout à pieds. C’était tellement gros que ça passait.
Il avait des excuses à tout, tout le temps. Il embobinait, mais avait l’art de retomber sur ses pattes.
Il manipulait, comme il s’énervait, dès qu’il se sentait au pied du mur.
J’avais ma petite voix, comme un murmure, qui me disait que ça ne tenait pas.
Le roi des illusionnistes au pays de la fumisterie je lui ai dit.
Alors je l’ai quitté.
Une première fois.
Après des semaines d’intimidation, de menaces, de chantage, d’insultes, de coup de sang.
Je l’ai quitté.
Et je me suis attirée les foudres.
J’avais fait ce qu’il ne pensait que jamais je ne ferai. Moi qui pardonnais, qui comprenais, qui écoutais, qui épaulais. Moi qui portais, supportais, et y mettais tout mon cœur pour apaiser.
Tant que j’étais à ses côtés, j’étais celle qu’il aimait, qu’il désirait. Mais quand il a compris que c’était fini et que je tenais bon, il m’a réduite à rien. Parfois les messages s’enchaînaient toutes les 30 secondes et se déchainaient.
Et quand bien même à notre époque, on a pris l’habitude d’envoyer des messages à l’image de ces messageries instantanées, quand bien même j’ai pu aussi lui écrire tant et tant, là c’était devenu incontrôlé.
Les choses se dégradaient quand il savait que je n’avais pas mes enfants. Il perdait pieds.
S’imaginant que j’avais « déjà consommé », « couché », que j’étais bien occupée, accablant mes silences comme de confirmation à ses accusations.
C’était devenu insensé. Injuste, irraisonné, irrespectueux.
J’ai hésité à porter plainte.
Surtout quand il m’a trouvée devant la garderie. Ce jour là, je me suis liquéfiée. Il pouvait chercher à m’atteindre, je pouvais encaisser jusqu’à un certain point, c’était moi. Mais quand je l’ai vu me fusiller du regard à travers la haie, je tenais la main de chacun de mes enfants fermement.
Peut-être pour ne pas m’écrouler, peut-être pour y puiser toute la force qui se dérobait de moi à ce moment là, peut-être pour lui montrer combien nous faisions bloc et qu’il ne nous atteindrait pas. Je l’ai ignoré. Et quand il a cherché à me menacer, à me dire qu’il allait venir me trouver le soir, alors que j’avais les enfants, je pense qu’il a compris qu’il ne fallait pas essayer.
Je l’ai bloqué à ce moment là de partout. Mais, les messages affluaient, sur mon deuxième insta que j’avais oublié. Dans les notifications de numéro bloqué. Il se confondait en excuses.
Comme à chaque fois. Il s’en mordait les doigts.
Je crois que j’aurai du porter plainte à ce moment là.
Au moment où je mettais une chaise, des cartons, ou des caisses derrière ma porte la nuit. Au moment où il m’a menacée de défoncer ma porte. Ou de me faire voler.
Comme au moment où il a shooté dans des objets que je lui rendais à travers ma porte d’entrée et que tout a volé en éclat.
Peut-être à ces moments là, où la peur s’emparait de moi.
Mais je suis de celle qui tient droit dans ses bottes, qui encaisse, qui supporte, qui écoute, entend, comprend et pardonne.
Alors, hier, quand le gendarme m’a demandée, « Mais Madame, pourquoi vous faites ça ? » mes yeux se sont remplis de larmes et je lui ai soufflé « parce que je suis trop gentille ».
« Oui mais ce sont ses soucis », m’a t-il dit.
C’est vrai. Cela lui appartient.
Finalement, je crois que j’ai tout fait. Tout.
Je suis allée au bout. Pour l’aider. Le sortir de là.
Comme pour lui montrer que je ne méritais pas. Il était hors de question que je glisse avec lui. Hors de question qu’il me manque encore de respect. Hors de question qu’il se joue de moi. Hors de question qu’il me traite ainsi.
Alors je défendais mes valeurs, ma dignité.
Je lui ai soufflé, écrit, expliqué, crié, hurlé, que je ne méritais pas. Ma seule défense étaient les mots.
Mais rien n’y faisait, il ne comprenait pas.
Pourtant c’était intolérable, insupportable.
Je crois que c’était comme si il venait cautionner ce que d’autres hommes m’avaient fait.
Il savait mon chemin. Il savait ce que j’avais traversé.
Ce que j’avais vécu au lycée où ma vie avait basculé, puis après avec le père de mes enfants.
C’était comme si il venait me signifier qu’ils avaient eu raison. Il en était hors de question.
J’ai voulu l’apaiser, l’aider, lui montrer ce qu’était l’amour, la douceur, comme les valeurs qui faisaient battre mon cœur.
Je n’ai pas réussi. Alors je suis partie.
Car j’ai compris que je m’y perdrai. Que je ne pouvais plus accepter. Je ne méritais pas.
Absolument plus. Jamais.
Alors quand les messages ont à nouveau déferlé vendredi, je suis allée à la gendarmerie.
J’ai franchi le pas.
Pour la première fois de ma vie, j’ai osé entrer dans un commissariat.
Pourtant, j’aurai pu le faire avant.
Vraiment. Avant lui.
J’ai compris que cette nuit là, quand j’étais au lycée, je n’avais pas été entendue.
C’est comme si ma voix n’avait pas comptée, et suite à cela, j’ai choisi le silence, avant d’en comprendre les dégâts.
Alors, petit à petit, depuis, j’élève ma voix.
Pourtant, parfois je peine à me faire entendre. Comme lorsque j’avais mal pendant la grossesse de Noah, que j’avais beau signifier, le gynéco préférait s’amuser de cette douleur à chaque toucher vaginal mensuel en me faisant sauter au plafond.
J’avais mal, je supportais (encore), et personne ne me prenait véritablement au sérieux.
Alors, lorsque les douleurs se sont intensifiées quelques jours après mon accouchement et que le père de mes enfants m’a rabrouée quand je lui ai fait part de ma douleur, j’ai encaissé (encore), compté les heures, même si je sentais que c’était grave.
Ce jour là, j’ai supporté, mais à quelques heures près, les choses auraient pu déraper.
J’ai compris la chance que j’avais eu d’avoir mon bébé et d’être en vie.
J’ai compris que le courage, la force, ne sont pas forcément d’encaisser. La douleur, comme la violence.
Il peut s’agir aussi d’oser, de se faire entendre, comme de poser des limites, de partir.
Cette épreuve a été un tournant dans la relation avec le père de mes enfants.
Je n’avais pas à supporter sa colère, sa violence. Quelques temps après, je suis partie.
Partir était l’un des plus grands NON que je posais. L’une des marques de respect les plus forte envers les enfants et moi.
Rétablissant les limites, mes valeurs.
Et pourtant, quelques années je me suis retrouvée dans ce commissariat.
J’avais laissé la possibilité de.
Je me suis sentie si petite et naïve aussi.
D’avoir tant supporté, aidé, tout fait pour un homme qui ne méritait pas.
J’étais là, derrière la paroi vitrée, à décliner mon identité à ce gendarme, comme à essayer de détailler un tissu de mensonges, de manipulations et de violence.
J’étais là, et je me suis demandée pourquoi je l’avais fait re-rentrer dans ma vie.
Comment il avait réussi.
J’ai compris qu’il se mêlait autant l’habileté de son emprise que mon dévouement, mon empathie.
Mais, je sais que tout le monde ne peut pas choisir le doux, l’amour, la vie.
Que parfois certains n’y parviennent pas, pas à ce moment là de leurs chemins. Mais que cela ne m’appartient pas.
J’ai compris que si pour moi l’évidence était la vie, mes enfants, ma famille, mes amis, le vrai, le bon, que si moi je trouvais les forces, lui, n’y parvenait pas. Si ce n’est des forces pour se défouler contre moi.
J’ai compris qu’il ne s’agissait pas d’amour pour lui. Mais de possession.
Que dès lors que je lui échappais, il devenait irraisonné.
J’ai compris que tout serait toujours de ma faute, qu’il me tiendrait responsable de tout, comme il essayait d’appuyer sur toutes mes failles, peut-être pour me faire glisser, peut-être pour me faire perdre confiance, peut-être pour se rassurer.
Comme si il voulait a tout prix me montrer que j’étais comme lui, me transmettre ses démons, mais il en était hors de question.
J’ai su détecter ses comportements. Forte de mon chemin avant lui.
J’ai vu à quel point il a pu déplacer des montagnes pour me récupérer, pour que je baisse la garde, et j’ai senti au moment où je lui montrais à nouveau de l’attachement, qu’il recommençait.
C’est comme si il soufflait le chaud puis le froid.
Comme si il entretenait le doute, l’insécurité.
Je me suis vue inquiète, en larmes, en cris, sans souffle, je me suis vue ne pas dormir de la nuit.
Attendre qu’il daigne m’appeler, décrocher, quand il ne me raccrochait pas au nez exprès.
Je me suis vue essayer de le bloquer, de l’éloigner, comme aimer toute la tendresse, l’attention qu’il avait.
J’ai aimé beaucoup de lui. Une partie.
Comme m’a dit un jour min grand, « Mais maman, il faisait plein de choses avec nous, il nous faisait rire, tu sais ».
Oui, sinon, il ne serait jamais entré dans notre vie.
Bien sûr que oui.
Il a su être irréprochable, mais comme le diable peut s’habiller en Prada, il s’est joué de nous, de moi.
Il a joué « au mec stable » m’a t-il avoué, il y a quelques mois.
Comme il a fait celui qui avait changé cet été.
Il m’a promis, dit ce que je voulais entendre, même lorsque je lui répétais à maintes et maintes reprises de me laisser, que j’avais ma santé, trop de soucis à ce moment là.
« Mais Marion, qu’est ce que tu n’as pas compris ? Qu’importe le diagnostic, je serai là. »
Quelques jours après, il envoyait valser les promesses en éclats, entre insultes, menaces, et intimidation.
« Mademoiselle… Dans votre état, il vous fait des misères…? C’est malheureux… »
Oui, c’est malheureux, mais ce n’était pas mon combat. Là, à cet instant.
Parfois, il faut choisir ses combats.
Moi je combattais un caillot, pour la deuxième fois. J’étais douloureuse, épuisée, et dans mon lit d’hôpital, comme sur ce parking, face à lui, je me suis dit que j’allais le quitter.
J’aurai dû saisir les perches qu’il me tendait. Mais je marchais là, « comme un vieux pépé », alors j’ai laissé les jours s’égrainer.
Et puis, je suis partie. En fracas.
Je lui ai dit de sortir définitivement de ma vie.
J’ai crié.
Toute la douleur, la tristesse, la trahison, l’injustice, la violence que j’avais trop encaissé.
C’était terminé. Je le sentais.
Alors, quand les messages ont recommencé à pleuvoir, j’ai senti en moi, que je devais franchir le pas.
Je me suis préparée, j’ai pris la route comme je prenais cette décision.
Et, en franchissant la porte du commissariat, je crois que je me faisais la promesse de ne plus jamais supporter cela.
Personne ne mérite cela. Ni moi.
Longtemps je me suis sentie courageuse d’avoir supporté, avant de quitter le père de mes enfants.
Finalement, j’ai sûrement été plus courageuse en franchissant le pas de partir.
Cela peut donner le vertige de franchir des pas que l’on croit infranchissables.
Comme de prendre des décisions qui, on le sait, vont bouleverser notre vie.
Des pas qui peuvent avoir des répercussions.
Comme les ricochets.
Des pas qui amènent d’autres combats.
Et puis, ce n’est pas chose aisée de dire non, pour les personnes remplies d’empathie et dans le pardon.
Ce n’est pas chose aisée que de se résigner lorsque l’on a un espoir à tout épreuve.
Lorsque l’on croit à l’amour, comme unique arme, défense, réponse.
Ce n’est pas chose aisée que d’oser.
Oser se faire entendre pour ceux qui sont toujours à arrondir les angles, oser poser des limites, oser penser à soi.
Mais il n’y a rien d’égoïste, ni de méchant à cela.
Nous sommes humains, avec nos limites, notre dignité, notre cœur, notre corps, nos valeurs.
Et de fuir comme de dire non, à la violence, l’injustice, la manipulation, l’intimidation, l’irrespect, c’est prendre soin de soi et se respecter. Cela ne devrait finalement même pas paraître courageux, mais absolument normal.
J’ai fait ce choix.
Ce jour là, pour moi, mon chemin, mes enfants, mon cœur et tout ce en quoi je crois.
Je me suis promis de ne plus jamais être dans cet état à cause de quelqu’un.
Au moindre warning, de fuir loin.
De m’entourer de ce que je sème depuis toutes ces années.
Et que personne, personne n’a le droit d’en abuser.
Personne ne doit puiser notre lumière en essayant de l’éteindre de son ombre.
Personne n’a le droit de porter atteinte à notre santé, notre confiance, nos rêves, notre liberté, comme nos valeurs.
Personne n’a le droit d’enlever de la vie à notre vie.
Personne ne doit nous ôter le sourire.
Par delà les tempêtes, j’ai choisi de m’ancrer encore plus à la vie.
De ne jamais fâner.
Mais de refleurir.
Immarcescible.
Marion